Pour les arbres fruitiers : le changement climatique, c’est maintenant

Aujourd’hui sujet majeur de préoccupation, le changement climatique n’a pas d’effets que sur les températures ou la météo. Les plantes, et notamment les arbres fruitiers, doivent s’adapter à une évolution annoncée rapide et de grande ampleur.

Le changement climatique génère des évolutions aujourd’hui montrées par tous les médias, si bien que personne ne peut dire qu’il n’en a pas entendu parler. Moins connus sont les effets qu’il peut avoir sur les plantes. Les arbres fruitiers, notamment, devront s’adapter rapidement. Helleborus orientalis – © A. Le Borgne. Les photos ont été prises au Jardin du Goarem, à Briec-de-l’Odet (29).

 

Un changement climatique potentiellement préoccupant en France

Face au changement climatique, la régionalisation prononcée pourrait se révéler une fragilité économique s’ajoutant aux vulnérabilités inhérentes aux arbres fruitiers (pérennité, cycle annuel impliquant de nombreux processus, complexité des composantes de la production, investissements culturaux généralement élevés, etc.) © luishaitzerfotos – Adobe Stock

Dans un passé récent, le réchauffement en France a été environ 30 % plus élevé que le réchauffement planétaire moyen. Les précipitations ont augmenté dans le nord du pays et diminué dans les régions méridionales. Selon divers scénarios, les vagues de chaleur pourraient s’accroître notablement en été, en particulier dans le Sud-Est. Inversement, des diminutions importantes des périodes présentant des températures basses extrêmes se produiraient en hiver sur l’ensemble de la France sans pour autant écarter des périodes de gel. Les simulations dessinent en outre une tendance significative à l’augmentation de périodes sèches sur tout le pourtour du bassin méditerranéen.

Ainsi, si de nombreuses incertitudes demeurent en matière de prédictions climatiques, la rapidité et l’ampleur des évolutions annoncées apparaissent sans précédent à l’échelle de l’agriculture moderne.La France métropolitaine présente une grande diversité de climats favorables aux cultures d’arbres fruitiers. Cette richesse a permis un développement important et diversifié de ces cultures sur l’ensemble du pays même si le risque majeur de gels (printaniers et hivernaux) a conduit à les localiser majoritairement dans les régions les moins exposées à ce risque.

Au fil du temps, d’autres considérations d’ordre climatique (conditions favorisant la coloration et la saveur des fruits) et édaphique (nature physico chimique des sols) ont conduit à façonner la répartition géographique des espèces et variétés d’arbres fruitiers que nous connaissons actuellement. Face au changement climatique, cette régionalisation prononcée pourrait se révéler une fragilité économique s’ajoutant aux vulnérabilités inhérentes aux arbres fruitiers (pérennité, cycle annuel impliquant de nombreux processus, complexité des composantes de la production, investissements culturaux généralement élevés) (Legave, 2009).

Estimation des avancées moyennes de la floraison, dans un passé récent, pour diverses espèces d’arbres fruitiers dans différentes régions françaises de culture
*début de floraison; **: pleine floraison

 

Des impacts avérés sur la phénologie et potentiels sur de nombreux autres caractères

– En haut : On rencontre une décoloration interne, symptôme du virus de la Sharka, sur abricot. Des risques parasitaires ou de nouveaux bioagresseurs pourraient apparaître sur les arbres fruitiers suite aux changements climatiques © Michel Ravelonandro – Inra – Au milieu : Éclatement de la cerise à maturité – © CITFL – En bas : Double cerise © Egle – Adobe Stock

Les processus phénologiques étant très liés à la température, de nombreuses observations à l’échelle planétaire ont révélé des avancées du débourrement végétatif, de la floraison (une semaine à dix jours) et de la maturité des fruits. En particulier, des avancées de floraison ont été rapportées pour des régions de culture à climats très contrastés allant, dans l’hémisphère nord, de la Norvège au Japon et au Maroc. Elles ont été décrites pour une large diversité d’espèces à feuilles caduques : pommier, poirier, pêcher, cerisier, abricotier, noisetier, châtaignier, poirier asiatique, mais aussi pour des espèces à feuilles persistantes : olivier et agrumes.

En France, et plus largement en Europe occidentale, ces avancées se sont manifestées soudainement à partir de la fin des années 1980 sous l’effet de températures printanières (mars à mai suivant les régions) de plus en plus élevées, raccourcissant ainsi la période de croissance active des ébauches florales. (Legave et al., 2015).

S’ils ne peuvent être actuellement considérés comme avérés, d’autres impacts peuvent être suspectés. Il est important de les inventorier et d’appréhender leurs déterminismes. Parmi les plus préoccupants en termes de régularité de production et de qualité des fruits, figurent des levées de dormance insuffisantes (besoins en froid non satisfaits), des insuffisances d’endurcissement au gel, des avortements floraux excessifs, des désynchronisations de floraison empêchant la pollinisation croisée, des détériorations, malformations et insuffisances de saveur et de coloration des fruits.

Outre ces impacts directs sur la biologie des arbres, d’autres impacts indirects majeurs sont aussi pressentis, comme des désynchronisations entre floraison et activité des insectes pollinisateurs ou des risques parasitaires accrus : développement d’un ravageur (carpocapse), élargissement de l’aire de répartition, émergence de nouveaux bioagresseurs.

Carpocapse (Cydia pomonella) : l’apparition d’une troisième génération larvaire deviendrait fréquente à l’horizon 2050-2070 – © Benoît Sauphanor, Inra

 

Anticiper pour limiter les vulnérabilités et valoriser les opportunités

Dans un contexte planétaire où l’atténuation du changement climatique prend du retard, une anticipation des problèmes au verger apparaît essentielle et urgente. Si les impacts sur la phénologie sont encore d’ampleur limitée et ceux pressentis pour le futur encore bien lointains, c’est pourtant maintenant que l’on doit envisager des adaptations d’ordre génétique, cultural et géographique pour espérer maintenir la régularité et la qualité des productions fruitières.

Pour s’en convaincre, il est intéressant de rappeler que la sélection génétique réalisée en France pour l’amandier dans les années 1970 a constitué une anticipation substantielle au changement climatique par la création de variétés à rendements élevés mais aussi autofertiles et à floraison tardive. En ce début de siècle, cette anticipation confère à l’amandier de véritables atouts pour son renouveau face au changement climatique, et même des possibilités d’élargissement de la zone de culture à des régions où le risque de gel printanier devrait diminuer. D’autres exemples historiques de même nature pourraient être cités (sélection de porte-greffe tolérants à la sécheresse). Ils restent toutefois peu nombreux. A contrario, l’innovation pour la coloration des fruits a pu conduire à des variétés auto-incompatibles chez l’abricotier, alors que les variétés les mieux adaptées aux variations climatiques sont autofertiles.

Développer un programme de sélection pour un arbre fruitier est une entreprise longue, complexe et coûteuse (juvénilité, déterminismes génétiques complexes, objectifs et critères nombreux). À titre d’exemple, un cycle de sélection variétale incluant une évaluation multisite dure une quinzaine d’années pour le pommier. La sélection de nouvelles variétés pour l’adaptation au changement climatique devra donc se focaliser sur quelques caractères adaptatifs essentiels pouvant varier selon l’espèce et la région de production.

Mais qu’en sera-t-il pour une variété dont on souhaite maintenir la production en raison des qualités de son fruit ou qui serait liée à un territoire donné par des liens juridiques ou historiques (AOP, IGP): pourra-t-on adapter les méthodes culturales pour continuer à la cultiver dans des régions climatiques devenues moins favorables ? Et, si cela n’est pas possible, devra-t-on envisager le déplacement de son aire de culture ? Ou encore, devra-t-on élargir l’aire de culture d’une espèce déjà cultivée ou introduire de nouvelles espèces ? Toutes ces questions peuvent conduire à saisir des opportunités offertes par la valorisation de ressources génétiques (développer l’oranger en Corse) ou par la valorisation de réchauffements régionaux (développer la clémentine dans le Sud-Est).

Jean-Michel Legave
Ancien directeur de recherche Inra, chargé de mission UMR amélioration génétique et adaptation des plantes méditerranéennes et tropicales.

 

À lire

Legave J.M., Guédon Y., Malagi G., El Yaacoubi A., Bonhomme M., 2015. Differentiated Responses of Apple Tree Floral Phenology to Global Warming in Contrasting Climatic Regions. Frontiers in Plant Science 6 (DEC). doi :10.3389/fpls. 2015.01054

Legave JM, 2009. Comment faire face aux changements climatiques en arboriculture fruitière? Innovations Agronomiques (revue électronique, Edit. INRA), 7, 165-177.