Les modèles en papier mâché du Dr Auzoux

Une exposition visible au Musée national de l’Éducation, à Rouen, jusqu’au 30 septembre 2019 donne à voir des modèles pédagogiques botaniques fabriqués en 1877 par le Dr Auzoux.

Une collection extraordinaire

Le Musée national de l’Éducation de Rouen (76) conserve 32 modèles pédagogiques botaniques fabriqués en 1877 par le docteur Louis Auzoux, dans son usine normande de Saint-Aubin-d’Ecrosville. Anciennement utilisés à des fins d’enseignement au sein du lycée Corneille de Rouen, ils ont été donnés au musée en 2007(*1). Représentations ingénieuses de la nature, ces pièces démontables en papier mâché sont remarquables par leur technique, leur esthétisme et le rôle pédagogique qu’elles ont joué dans la diffusion de l’enseignement des sciences.

Les Établissements du Dr Auzoux (1828-2002)

Rumex, Dr Auzoux – papier mâché 1877 – © Collection du Musée national de l’Éducation/Canopé

Comment représenter des éléments du corps humain, du monde animal ou végétal afin qu’un élève en saisisse l’organisation et le fonctionnement ? Au XIXe siècle, le docteur Louis Auzoux apporte une réponse à ce besoin en mettant au point d’astucieux « modèles » 3D, entièrement démontables, dont il assure la diffusion en grand nombre et pour un coût modeste. Durant ses études de médecine, Louis Auzoux (1797-1880) oriente ses recherches vers la création de moyens pédagogiques voués à la diffusion des sciences.

Passionné d’anatomie, il se lance dans la représentation artificielle du corps humain et présente, en 1825, un mannequin complet en papier mâché entièrement démontable. Il l’appelle modèle « clastique » (du grec κλαστός, klastos, « briser, séparer »). Face au succès du procédé, il fonde en 1828 une usine destinée à la fabrication et à la diffusion de ses modèles anatomiques, puis botaniques à partir des années 1860.

La technique de fabrication particulière qu’il met en œuvre, où chaque partie démontable est moulée dans une pâte à la fois solide et légère, lui permet de lancer une production semi-industrielle. Elle se distingue par la précision des détails et la finesse de la peinture, appliquée à la main. Véritables œuvres d’art, ces modèles sont alors achetés dans le monde entier par des établissements scolaires, des sociétés savantes, des universités… L’entreprise perdure, sous différentes formes, jusqu’en 2002.

Pois de senteur 2, Dr Auzoux – papier mâché 1877 © Collection du Musée national de l’Éducation/Canopé

Pois de senteur 2, Dr Auzoux – papier mâché 1877 -© Collection du Musée national de l’Éducation/Canopé

Voir pour comprendre : l’enseignement de la botanique

Répondant aux objectifs de l’école du XIXe siècle, l’enseignement de la botanique se doit de donner aux élèves une somme de connaissances appropriées à leurs futurs besoins et, en même temps, de développer et de fortifier leurs facultés d’observation. Les modèles du Dr Auzoux offrent dans cette perspective un formidable outil pour l’enseignant. Ces deux finalités de l’enseignement ont conduit à introduire progressivement dans les programmes des notions scientifiques (utilitaires et appliquées à l’agriculture dès l’école primaire, la réflexion intellectuelle étant davantage le privilège du secondaire) et une manière d’instruire par les yeux : la leçon de choses.

Leçon sur les choses, au moyen de choses et par ces choses, la leçon de choses se veut attractive : le professeur apporte en classe des plantes récoltées localement que les élèves sont invités à observer attentivement. Pour son enseignement, le professeur s’appuie aussi sur des herbiers, commente les illustrations des manuels scolaires, expose des planches murales et manipule des modèles fabriqués de fleurs et de fruits.

Ces modèles botaniques sont pédagogiques, car ils servent à l’art d’enseigner, et didactiques, car ils expliquent la biologie des plantes. Ceux qui sont proposés par les Établissements Auzoux jouissent d’une réputation mondiale. Manipulables, démontables et légendés, ils permettent d’étudier les plantes sous plusieurs aspects. Parfois grossis plus de dix fois pour mieux en représenter l’organisation, leur grand format facilite la démonstration à distance.

 

 

La série des modèles botaniques du Dr Auzoux : de l’objet pédagogique à l’objet artistique patrimonialisé

© Collection du Musée national de l’Éducation/Canopé

Les Établissements Auzoux lancent en 1863 une nouvelle série de modèles selon leur technique « clastique » déjà fameuse. Il s’agit de modèles botaniques grossis plus de dix fois et présentés à différents stades de leur germination ou floraison : « Ici un grain de blé gros comme la tête d’un enfant, avec ses enveloppes, sa masse farineuse, son embryon et ses dépendances (…). Ailleurs ce sont le gland, l’œillet, le pois de senteur avec sa tige et sa gousse, le chrysanthème, le muflier, le fuchsia (…), etc. Tout cela se démonte et se remonte avec une extrême facilité, sans qu’on ait à craindre de le briser. (*2) »

Ces objets pédagogiques ont été remplacés petit à petit à la fin du XXe siècle par des images de grande qualité et surtout des supports vidéo numériques. Souvent abîmés par des décennies de manipulation, mal conservés, mal entretenus et « oubliés » au fond de salles de classe, les modèles du Dr Auzoux se révèlent de nouveau. Des campagnes d’identification, de restauration (à l’École supérieure du professorat et de l’éducation de Paris par exemple), de protection (classement au titre des Monuments historiques à l’Université de Montpellier) sont mises en place pour ces pièces qui perdent peu à peu leur fonction d’outils didactiques pour acquérir un statut d’objet patrimonial, désormais autant admiré pour sa fonction première que pour sa beauté artistique.

Marianne Lombardi
Commissaire de l’exposition, Responsable du département des publics du Munaé (Musée national de l’Éducation)

Johann-Günther Egginger
Commissaire scientifique de l’exposition, maître de conférences à
l’Université d’Arras

(*1) Ces modèles sont en cours de restauration grâce à une souscription soutenue par la Fondation du patrimoine et la Société d’horticulture de Seine-Maritime (Les Amis des Fleurs) qui a déjà permis d’en restaurer quinze.

(*2) Revue Les mondes, n° 1, tome I, 12 janvier 1863, p. 2.