Thierry Cardot, de l’Atelier Aubépine. Un concepteur, paysagiste et jardinier
Jean-François Coffin
Thierry Cardot n’est pas un « Titi parisien », bien que né à Montmartre, il y a 39 ans. Plutôt le genre artiste-poète qui s’interroge sans cesse mais garde les pieds sur terre. S’il a baigné dans une culture urbaine pendant treize ans, la révélation s’est opérée brutalement le jour où ses parents se sont installés dans une maison avec jardin, en lisière de la forêt d’Ermenonville. Révélation qui a conduit à l’obsession puisqu’il passait une bonne partie de son temps à jardiner, « au détriment de mes études secondaires », avoue-t-il. Assistant à cette passion, les parents de ce rejeton lui ont demandé ce qu’il voulait faire plus tard. La réponse a été directe : « jardinier », le mot paysagiste n’étant pas encore très courant à l’époque. Ils l’inscrivent dans une école en Bretagne où il prépare un CAP en alternance, puis un BEP en pépinière, un bac scientifique en agronomie et environnement, puis BTS en production horticole. Petite coupure avec le service militaire transformé en service civil au lycée du paysage qui recherchait quelqu’un pour s’occuper des serres. « Opportunité incroyable », reconnaît Thierry qui se voyait mal passer un an dans une caserne.
Thierry Cardot
Le champ du départ
Retour à la vie civile dans le monde du travail comme chef d’équipe dans une grande entreprise d’Ile-de-France qui réalisait le parc de Disneyland. « Ce fut une époque formidable où j’ai découvert une dimension quasi surréaliste du paysage, avec des grues gigantesques transportant des arbres par-dessus les obstacles ». Le « champ du départ » devient petit à petit un paysage féerique... Cette démarche l’a intrigué. « J’ai vu des gens qui créaient des lieux ». Mais la dominance de l’activité travaux publics sur le végétal l’intéresse de moins en moins, « alors que pour moi, c’est la plante qui doit être au centre ». S’Il a beaucoup appris à Disneyland, il a vite voulu revenir à ses premières amours. Il se met à concevoir et réaliser des petits jardins, surtout des terrasses, avec un paysagiste parisien. « Il m’a donné beaucoup mais je ne suis pas sûr qu’il s’en soit rendu compte. Il m’a fait découvrir les intrigues paysagistes du monde parisien, ses hôtels particuliers, ses terrasses, ses propriétés d’Ile-de-France ». Puis sa rencontre avec Gilles Clément a désacralisé le monde du jardin. « Il m’a fait comprendre qu’avant tout, nous sommes des jardiniers, pas que des dessinateurs et m’a encouragé à étudier le monde du jardin, ce que je fais toujours ».
Respecter le lieu
Aujourd’hui, Thierry Cardot a son propre atelier de paysage, « Atelier Aubépine », qu’il a créé il y a trois ans. En parallèle, il enseigne le paysage au centre de formation des Apprentis d’Auteuil, où il partage avec plaisir sa passion. Sa démarche : rencontrer le lieu, les gens qui y vivent. « Je m’efface, j’essaye de percevoir le programme de mes « clients partenaires », voire même de découvrir leur vie intime. Je ne construis pas un décor ni un tableau mais un lieu de vie. J’en retire les éléments principaux, car on ne peut pas tout prendre en compte dans leurs désirs, et j’élabore des esquisses que l’on discute ensemble ». Son but est de respecter le lieu tout en lui apportant sa propre idée du paysage. S’il s’agit de remanier un jardin à la Française, il le fera volontiers bien que ce modèle de jardin ne soit pas son époque préférée. Il respectera la structure d’origine, mais ajoutera des éléments contemporains, par exemple un peu de flou à l’aide de graminées. « Il faut trouver un compromis entre la structuration et le flou, pour éviter l’ennui ». Mais Thierry Cardot n’a pas de lieux d’interventions prédestinés. On lui demanderait d’aller réaliser un jardin sur la lune, il irait, sous quelques conditions tout de même !
La naissance d’Aubépine
Le premier projet de l’Atelier Aubépine a été le cloître d’un couvent, celui des Dominicains à Paris. Le travail a débuté par découvrir l’histoire de la communauté. Puis de comprendre pourquoi cet ordre « prêcheur et mendiant », à l’origine, voulait réaménager son jardin. Sa passion le guide actuellement vers les jardins anglais qui correspondent bien à l’idée qu’il se fait du paysage. Peut-être l’influence d’un de ses guides, Edouard André ? Pour chaque création, Thierry accompagne le client dans la réflexion et la réalisation. Il lui arrive même de jardiner avec lui. Une fois le jardin créé, Thierry revient le voir. Parfois, on lui demande d’en assurer l’entretien, ce qu’il fait volontiers, manière d’assister et de guider son évolution.
Je ne suis qu’un passage
Thierry continue sans cesse de s’interroger, raisonner, philosopher : comment concevoir le jardin, le comprendre, le ressentir ? Il a commencé son métier techniquement, dépassé cette étape technique qu’il continue cependant d’enrichir, pour arriver à une approche culturelle, voire sociale. « Plus j’apprends du jardin plus je comprends que c’est un lieu de rencontre simple, qui donne sans compromis. Ca marche ou ça ne marche pas. C’est moi qui attends beaucoup de lui, va-t-il accepter ce que je vais lui apporter ? Plus je creuse, plus je découvre qu’il est une identité biologique et une identité de lieu. Je ne suis qu’un passage. Peut-être qu’un jour arriverai-je à élaborer un lieu où l’on aura le sentiment qu’il est vrai sans que l’on puisse voir une intervention humaine ? »
La première porte du paysage
Le jardin l’a ouvert à la poésie, à la peinture, à l’art. Les paysagistes n’étaient-ils pas, à l’origine des peintres qui allaient dans la nature pour la peindre ? « Le jardin est le promontoire, la première porte du paysage », précise Thierry Cardot qui semble tiraillé par les multiples questions qu’il se pose, les compromis qu’il doit trouver entre conceptualisation et approche terrain. « Le jardin n’est pas un objet. Il faut une approche horticole et chaque plante est un individu. Ca me trouble… » Thierry Cardot semble intarissable quand on l’interroge sur son approche du jardin. Il en parlerait des heures ! « Mon métier n’est pas qu’un job. J’ai besoin d’en parler ». Il vient de le prouver en se confiant à Jardins de France, dans son petit appartement/atelier, au pied de la butte Montmartre...
Jardins du couvent de l’Annonciation, à Paris, une des premières réalisations de l’Atelier Aubépine
Du jardin de petite dimension au jardin à l’anglaise, Thierry Cardot se pénètre toujours du lieu avant de composer.
mars-avril 2013