Histoire d’un parasite guérisseur : le gui
Christine Barbace
« Amour, prospérité, éternité », les symboles associés au gui feraient un bon titre pour une sitcom ! Dans le rôle principal, Viscum album : une plante parasite célèbre en cette fin d’année. En langue celte, son nom signifie « guérit tout », entre autres, l’épilepsie et l’hypertension. Selon des recherches récentes, le gui agirait même sur le système immunitaire. Entre légende et réalité, Christine Barbace, de la Mission Agrobiosciences vous propose de faire le tour de cette boule végétale porte-bonheur.
Le gui présente la particularité de ne pas toucher terre. Il vous faudra donc lever la tête pour l’apercevoir dans certains arbres fruitiers, mais aussi au faîte du peuplier, des aubépines, des érables1, plus rarement du chêne et, sous une forme spéciale (V. album abietis), sur le sapin. La propagation de cette plante considérée par les forestiers comme un véritable fléau est due le plus souvent aux grives et aux fauvettes à béret, qui en sont friandes et qui, après digestion, répandent les graines d’arbre en arbre. Nous avons donc là un parasite, ou plus exactement un hémiparasite, car il produit sa chlorophylle et ses propres sucres. Mais tout de même, ça vous fatigue un arbre ! Dès que la température extérieure atteint 10 °C, la graine germe et se colle à l’arbre. La plante peut alors se développer grâce à son suçoir qui traverse l’écorce et atteint la sève dont le gui se nourrit. Ses fruits sont ronds, blancs et visqueux, d’où son nom latin Viscum album.
Légendes autour du gui
Remontons d’abord jusqu’à nos ancêtres les Gaulois : nous sommes la sixième nuit du solstice d’hiver, la première de l’année celtique, la « nuit mère ». Un druide vêtu de blanc s’enfonce dans la forêt pour y cueillir le gui sacré du chêne avec une serpe d’or. Il le reçoit dans un drap de lin d’une blancheur immaculée (car il ne doit pas toucher le sol afin de conserver ses pouvoirs) tout en prophétisant « O Ghel an Heu » – traduisez « Que le blé germe ». Quelque peu déformée, cette expression aujourd’hui désuète s’était déjà transformée au Moyen Âge en « Au gui l’an neuf ». Les Gaulois attribuaient donc à cette plante, outre ses vertus médicinales, des pouvoirs magiques. Le gui chassait les mauvais esprits, purifiait les âmes, neutralisait les poisons et assurait la fécondité des troupeaux.
Autre lieu, autre légende : en Scandinavie cette fois. Le démon Loki, par jalousie, tue le dieu soleil Baldut (ou Balder) lui décochant une flèche empoisonnée avec du gui. Preyla, déesse de l’amour, implore les dieux de redonner vie à Baldut, promettant alors d’embrasser quiconque passerait sous le gui. Évidemment, Baldut ressuscite. De cette légende est issue la coutume du baiser sous le gui, dès lors symbole de l’amour et du pardon. Notons au passage que Wagner aurait trouvé là une source d’inspiration pour sa célèbre Tétralogie.
On peut préférer cette version galloise : les trois filles du roi Gwydyr étant promises à trois chevaliers en partance pour la guerre, se retrouvent sous un vieux chêne pour échanger des gages d’amour. Les plumes de paon offertes par les jeunes filles n’y suffisant pas, elles accordent un baiser à leurs fiancés.
Plante médicinale et poison
Revenons au réel. Le gui porte-bonheur que l’on vend chaque fin d’année au cœur des cités présente effectivement des vertus médicinales. En herboristerie, le gui était prescrit pour soigner l’épilepsie, les désordres nerveux et la digestion. Au XIXe siècle, il entrait dans la composition de remèdes contre la coqueluche. La viscine, substance contenue dans le fruit blanc du gui, servait autrefois à faire de la glu. Plus récemment, utilisée à faible dose, elle s’avère bénéfique contre l’hypertension et les maladies cardiaques. En revanche, utilisée à forte dose, elle peut causer des convulsions, ralentir dangereusement le rythme cardiaque, augmenter la pression artérielle et même provoquer un avortement. Cette substance ambivalente fait actuellement l’objet de recherches scientifiques. Récemment, certaines d’entre elles tendraient à prouver que le gui agirait sur le système immunitaire et parviendrait à inhiber les tumeurs cancéreuses.
Chronique reproduite avec l’aimable autorisation de Sylvie Berthier, Mission Agrobiosciences-Inra.