La balade irlandaise de la SNHF
Alain Le Borgne
« Je tiens ce que je sais du temps passé
à la pratique et à l’observation du jardin.
J’y ajoute les voyages… »
Gilles Clément, Leçon inaugurale du Collège de France
S’il est un pays qui fait briller les yeux des Français par l’imaginaire qu’il déploie, c’est bien l’Irlande. Découvrez le carnet de voyage des membres de la SNHF partis à la découverte des trésors cachés du Connemara.
L’art des jardins – même s’il n’est pas considéré comme un des beaux-arts – est consubstantiel à notre culture occidentale. Du paradis, jardin d’Eden, aux jardins partagés qui colonisent parfois les toits-terrasses des grands ensembles, il y a là indiscutablement une continuité historique d’appropriation de l’espace, de préservation des paysages, d’admiration du perpétuel renouvellement du monde végétal.
Direction la verte Irlande
Le succès, jamais démenti, des voyages organisés par la SNHF, témoigne de cette envie de découvrir, d’admirer, d’apprendre, d’imiter, de connaître de nouveaux végétaux et d’échanger entre amateurs. Ce fut le cas lors de cette traversée de l’Irlande d’est en ouest !
C’est Olie qui nous guide et, tâche ô combien importante, traduit les propos de nos hôtes jardiniers. Au fil du voyage, il nous racontera et même nous chantera l’histoire de l’Irlande : les tourbières, les pommes de terre var Lumper, bénédiction et malheur de ce pays, les lacs et les vertes prairies, les relations avec l’Angleterre…
Chaque jardin, chaque parc, chaque château visité nous a fait découvrir un aspect différent, original, parfois déconcertant, de ces créations et de leurs créateurs.
Notre première étape fut le château du Belvédère avec son exceptionnel Mur de la jalousie, une ruine construite volontairement par Robert Rochfort pour cacher la vue de son parc à son frère, qu’il accusait d’avoir séduit son épouse. Une telle démesure nous laisse sans voix et pourtant, ce mur constitue, avec les arbres magnifiques du parc, une remarquable attraction de ce château !
L’abbaye de Kylemore : un joyau au bord de l’eau
L’ambiance est toute différente à l’abbaye de Kylemore. Nous sommes dans le comté de Galway, dans le Connemara. Pour y parvenir, nous avons traversé l’Irlande d’est en ouest, contourné des collines verdoyantes, longé des lacs tranquilles, fait quelques pas dans des tourbières où poussent rhododendrons et linaigrettes, aperçu des petits tas de tourbe soigneusement alignés, en train de sécher. L’histoire de l’abbaye de Kylemore, construite dans la seconde moitié du XIXe siècle par Mitchell Henry et son épouse Margaret, est faite de passion, d’esprit d’entreprise, de volonté de promouvoir le progrès tant technique (eau courante, éclairage au gaz puis électrique) que social (création d’écoles et de logements pour les employés…).
Face à l’étendue du domaine, il nous a fallu choisir et nous avons visité le jardin victorien. D’une superficie de plus de deux hectares, ses deux versants, séparés par un petit ruisseau, sont entourés de murs de brique sur trois côtés et de pierres de la région sur le dernier. Le versant ouest, ombragé, est cultivé en potager et plantes médicinales. Le versant est, beaucoup plus ensoleillé, est actuellement planté de fleurs dont des espèces (mufliers, roses trémières, œillets d’Inde, campanules…) sont préservées précieusement depuis l’époque victorienne. En haut de ce versant, la maison du jardinier chef est toujours là, ainsi que la remise à outils et les deux serres qui abritent de superbes pélargoniums. Sortant de ce jardin par la porte sud, le chemin, bordé de longues haies de fuchsias fort bien taillées, conduit au jardin de rocaille.
Caher Bridge et le château de Birr : la démesure à l’irlandaise
Le matin suivant nous longeons la mer en direction du Burren. Le ciel gris comme la mer et les roches qui affleurent nous plongent dans un paysage de fiction. La route devenant trop étroite pour le car, c’est à pied que nous rejoignons le jardin de Caher Bridge. Le long de cette petite route, nous découvrons une partie de la flore locale : géraniums, orchidées, pavots, fougères… qui croît entre d’énormes blocs de pierre, abandonnés là après la dernière glaciation.
Le jardin de Caher Bridge est la réalisation d’un homme seul. Carl Wright décide de s’installer dans ce lieu loin de tout, au sol rocheux envahi à l’origine par des fourrés très denses de pruneliers ou de noisetiers. L’absence de terre arable, la présence de plaques de roches sur toute la surface du terrain ne représentent pas des obstacles insurmontables pour ce jardinier ambitieux ! Progressivement l’homme étend son jardin, défrichant, apportant des tonnes de terre, utilisant les pierres qui pavent toute cette contrée pour le structurer. Le résultat est une magnifique création agrémentée d’une superbe construction : la Porte de la lune. Parmi les arbustes que nous avons admirés Laburnocytisus adamii présentait son étrange floraison bicolore.
Sur la route du retour, la visite du château de Birr présente un tout autre aspect de l’activité humaine. Il est habité par la famille Parson depuis le XVIe siècle. À l’entrée, il est clairement indiqué « jardin et centre scientifique ». Le chef jardinier qui nous accompagne nous présente des arbres remarquables « champions d’Angleterre » : tilleul de Henry, Ehretia dicksonnii, et de nombreuses raretés originaires d’Extrême-Orient, sans oublier un très beau Fuchsia excorticata originaire de Nouvelle-Zélande.
Le centre scientifique n’est pas en reste avec d’extraordinaires réalisations passées et actuelles. En 1990, la reconstitution du télescope qui fut le plus performant mondialement au XIXe siècle témoigne de l’ingéniosité et du savoir-faire de cette famille. Elle a également donné son nom à la turbine Parson, toujours utilisée pour produire de l’énergie. L’histoire continue de nos jours avec la création d’une station de radioastronomie LOFAR IE613, dont le réseau d’antennes installées dans le jardin participe à l’exploration de lointains objets célestes…
Quelles découvertes ! Quel pays !
Nous nous sommes arrêtés un long moment au domaine de Powerscourt, parfaitement inscrit dans le paysage du comté de Wicklow. Le National Geographic en a fait un des plus beaux jardins du monde ! La vue sur le mont Sugarloaf depuis la terrasse, le bassin du Triton, qui crache son jet d’eau à plus de trente mètres, la plantation d’arbres grandioses, soigneusement étiquetés, les « mixed border » dans les jardins clos de murs, confirment que ce domaine mérite bien ce qualificatif d’extraordinaire.
Nous avons finalement visité douze jardins lors de cette traversée de l’Irlande. Tous ont suscité un grand intérêt de la part des participants, chacun marquant sa préférence, qui pour l’originalité des plantes, qui pour la rigueur des plantations et surtout l’amabilité et la disponibilité des propriétaires, jamais avares de conseils. Tous étaient prêts à répondre à toutes nos questions, que ce soit à Ardcarraig, que madame McMahon a construit patiemment avec ses nombreux amis, à Woodville, clos d’anciens murs, à Bellefield où nous avons été invités à partager thé et scones, à Hunting Brook et dans le jardin de June Blake aux belles plantes exotiques, à Coolcarrigan ou encore à Hodge Park, jardin et musée de machines à vapeur.
Cette balade irlandaise nous aura aussi permis, au fil des pubs, de goûter la cuisine et la bière irlandaise et d’admirer les jeunes danseurs et musiciens qui ont revisité pour nous le folklore irlandais.