À Saint-Denis, la dernière ferme maraîchère revit

Xavier Laureau

Les Franciliens adeptes des circuits courts, familiers du passé agricole ou maraîcher de la région, connaissent les Fermes de Gally. Après la mise en place de Fermes ouvertes à Saint-Cyr-l’École puis Sartrouville (78), c’est à Saint-Denis (93) que l’entreprise familiale a installé son nouveau projet tricéphale. Plus particulièrement dédiée aux scolaires, aux familles et aux entreprises désireuses de tisser un lien entre le passé agricole et maraîcher de ces terres et le futur agricole des cultures hors sols et technologiques, une Ferme ouverte a pris racine depuis le printemps. Ce démonstrateur de techniques culturales est accompagné d’un espace de découverte des animaux de la ferme et d’une série d’ateliers autour de la fabrication du pain, de l’extraction de jus de pommes, de l’extraction d’huile… La production de cultures maraîchères s’étend sur 2,5 hectares et se veut représentative des espèces cultivées sur ces terres depuis plusieurs siècles (l’entreprise de la famille Laureau est installée en Ile-de- France depuis 1746). Enfin, on trouve également un espace de vente directe des productions pour les habitants de Saint- Denis, Stains et Pierrefitte.

La ferme urbaine de Saint-Denis accueille également l’association Parti Poétique, un acteur local, médiatisé par son « miel béton », qui souhaite développer des savoir-faire culturels « du champ à l’assiette » et des cultures permacoles. Ce projet atypique s’inscrit dans un des territoires historiques de la production légumière francilienne.

La Ferme urbaine de Saint-Denis (93) accueille, depuis le printemps 2018, une ferme ouverte, la production de cultures maraîchères et un espace de vente directe - © groupe Gally
La Ferme urbaine de Saint-Denis (93) accueille, depuis le printemps 2018, une ferme ouverte, la production de cultures maraîchères et un espace de vente directe – © groupe Gally

Une terre maraîchère depuis le XIIe siècle

Les légumes sont cultivés dans la plaine de Saint-Denis depuis le XIIe siècle au moins. En raison de l’humidité naturelle des terres, cette zone est devenue au fil des siècles le jardin de Paris, fournissant plus de la moitié des légumes de la capitale en 1860. À partir du XVIIIe siècle, on la nomme Plaine des Vertus, sur la commune de La Courneuve aux côtés du pavé d’Amiens, site emblématique de la ferme urbaine de Saint-Denis. On y distingue les maraîchers, qui cultivent des légumes de saison et de contre-saison, sur couche et sous cloche et châssis, et des cultivateurs, qui cultivent sur de plus grandes surfaces avec une mécanisation accrue.

En 1912, on compte dans le département de la Seine 2 456 maraîchers, dont 10 % dans Paris intra-muros. Ils affluent tous les matins vers les Halles de Paris pour apporter leurs productions. Les 80 000 chevaux parisiens produisent 344 000 tonnes de fumier qui alimentent « les couches chaudes » des maraîchers. Les cloches de verre assurent la production en primeur de salades et légumes avec de très bons rendements.

L’éclat de la lune sur les 6 millions de cloches permet, en 1914, aux aviateurs allemands de repérer Paris, presque entièrement ceinturée de verre. Peu à peu, les châssis de verre remplacent les cloches, réduisant les besoins en main-d’oeuvre.

L’exploitation, qui a produit jusqu’à 500 000 salades par an, et a permis à quarante personnes de travailler, est aujourd’hui la ferme de production la plus proche de la capitale – © groupe Gally

Spécialisation et urbanisation

Il ne reste, en 1959, que 626 maraîchers, dont seulement deux dans Paris intra-muros. Le développement des transports et la pression foncière les éloignent peu à peu de la ville et les conduisent à se spécialiser. Les cloches et les châssis sont remisés et la culture sur couches chaudes, faute de fumier, disparaît. La destruction des Halles Baltard, en 1969, sonne le glas d’un système qui a nourri Paris pendant cent cinquante ans.

Arrivant de sa Bretagne natale en 1920, Marie Pellan commence par travailler chez un maraîcher à Saint-Denis. Petit à petit, elle crée sa propre exploitation et livre plusieurs fois par semaine ses salades à Paris. Malgré l’urbanisation et l’industrialisation galopante, la petite exploitation poursuit sa mission… En 1965, certificat d’études en poche, son petit-fils, René Karsanté rejoint ses parents et sa grand-mère sur l’exploitation. L’urbanisation parisienne se poursuit, et les tours ne tardent pas à encercler les parcelles de légumes cultivés par René. L’exploitation, qui a produit jusqu’à 500 000 salades par an et a permis à quarante personnes de travailler, se maintient pour être la seule survivante de ce glorieux passé maraîcher. La Ferme urbaine de Saint-Denis est aujourd’hui la ferme de production la plus proche de la capitale.

SAINT-DENIS 2024, UNE MUTATION MAJEURE

Fortes de la chance d’avoir développé de nouveaux métiers dans des banlieues favorisées, les Fermes de Gally ne veulent pas se sanctuariser et souhaitent déployer des initiatives originales et transverses, en créant des emplois locaux, en accueillant les jeunes publics et en suscitant des vocations, mais également en proposant une offre touristique régionale autour de la mémoire d’un secteur majeur de l’agriculture française, une offre d’accueil auprès des entreprises attirant parfois avec difficulté leurs collaborateurs dans ces communes autrefois sinistrées.

L’objectif est de créer des modèles d’agriculture urbaine réussis, ne dépendant pas de subventions publiques pour fonctionner, et qui réconcilient les populations urbaines avec toutes les techniques agricoles, du low tech au high-tech exigeant une maîtrise agronomique respectueuse de l’environnement.

Un trait d’union entre traditions et innovations

En juillet 2017, René Karsanté transmet aux Fermes de Gally les clés d’un patrimoine à sauvegarder. La ferme urbaine de Saint-Denis conserve sa fonction de production, mais tout s’organise pour pouvoir y accueillir du public. N’est-ce pas là la véritable évolution ? Il ne s’agit plus uniquement de produire mais aussi de goûter et partager. Ainsi, les Fermes de Gally ont signé un bail agricole de vingt-cinq ans avec la ville de Saint-Denis et souhaitent créer le site pilote d’une agriculture urbaine multifonctionnelle. À 500 mètres du métro, elles proposent une relation simple à des milliers de familles éloignées de l’agriculture et du jardinage. Par ailleurs, elles organisent des ateliers participatifs pour les entreprises du territoire, afin d’en faire redécouvrir la richesse culturelle et vivante. Enfin, là où le chômage des jeunes est très élevé, elles souhaitent former aux métiers de l’agriculture et du paysage pour répondre aux défis de la ville durable auxquels elles croient.

À LIRE

Xavier Laureau est également l’auteur, avec Jean-Paul Charvet, de Révolution des agricultures urbaines, des utopies aux réalités, Éditions France Agricole, 192 pages, 29 euros

Xavier Laureau, 2016, Les 101 mots de l’agriculture urbaine. Éditions Archibooks, 152 p, 13,90 €