Une agriculture urbaine mais des agriculteurs urbains
Guillaume Morel-Chevillet
Depuis quelque temps, l’agriculture urbaine fait beaucoup parler d’elle. En trame de fond, les hommes et les femmes qui oeuvrent à son développement ont en commun d’entretenir une relation particulière avec la ville et la nature. Et ils sont nombreux ! D’après la FAO près de 800 millions de personnes se consacrent à l’agriculture urbaine dans le monde. Même s’ils sont surtout présents dans les pays du Sud, les agriculteurs urbains se professionnalisent de plus en plus au coeur des villes des pays développés. Ainsi, sur les toits et les friches se développent de nouveaux métiers, souvent hybrides entre agronomes, paysagistes, horticulteurs et logisticiens. Proches du jardinage urbain, ces activités participent pleinement à l’aménagement paysager des villes et favorisent la renaturalisation du cadre de vie. D’autant que, non contents de cultiver des plantes vivrières ou d’élever des petits animaux, ces agriculteurs urbains visent aussi des objectifs sociaux, délaissant alors la production alimentaire aux fins purement économiques. La production et la multiplication de végétaux, dans l’espace public ou dans une exploitation professionnelle tournée vers la ville, font aussi partie intégrante de la dynamique de l’agriculture urbaine.
Il est important, aujourd’hui, de considérer que partant d’une échelle individuelle, puis s’élargissant à une dimension collective, professionnelle et in fine territoriale, les champs d’action des agriculteurs urbains sont extraordinairement vastes.
Des techniques et méthodes variées
Alors que certains acteurs adoptent des techniques high-tech pour cultiver de manière intensive en coeur de ville, souvent dans des lieux inattendus comme les conteneurs ou les sous-sols, d’autres mettent en oeuvre des savoir-faire low-tech s’appuyant sur le métabolisme urbain1 ou sur l’héritage du monde agricole traditionnel. Cette tendance est réellement source de créativité pour la recherche et l’innovation. Les serres horticoles sur toitures, les jardins en permaculture urbaine, le mouvement collectif de la guerilla gardening ou les micro-fermes urbaines composent un écosystème cohérent que la filière agricole a tout intérêt à suivre de près.
Il reste cependant du chemin à parcourir avant que ce mouvement ne rentre pleinement dans les moeurs et qu’il ne soit encadré par des techniques et des règles spécifiques. Entre l’environnement urbain pollué, la faible qualité agronomique des sols, l’ensoleillement limité ou les risques sanitaires, nombreux sont les verrous techniques à lever pour que l’agriculture urbaine, notamment sous sa forme professionnelle, s’émancipe complètement.
Acteurs de la transition vers le durable
Malgré ces limites, il apparaît que les agriculteurs urbains sont de formidables acteurs de la transition vers des villes plus durables. Alors que le réchauffement climatique s’accélère et que plus de la moitié de la population mondiale est urbaine, il y a urgence à revisiter notre conception des villes et du rapport qu’elles entretiennent avec le monde vivant. Or, les agriculteurs urbains – des jardiniers amateurs aux professionnels endurcis – possèdent les clés pour imaginer des cités plus écologiques. En effet, l’agriculture urbaine apporte deux contributions majeures au développement écologique et résilient de nos villes – et, par ricochet, de nos campagnes.
La première est sa capacité à renaturaliser de manière individuelle, collective et productive les espaces urbains. C’est le concept – convaincant – de villes biophiliques. Partant du principe que l’Homme a toujours co-évolué avec la nature, il existe une filiation émotionnelle des êtres humains envers d’autres formes de vie2. Du fait qu’ils pratiquent l’agriculture aux yeux de tous, bien souvent de manière écologique et participative, les agriculteurs urbains sensibilisent les citadins aux cycles biologiques tout en apportant à la ville la nature dont elle a tant besoin.
2 Edward O. Wilson. 1986. Biophilia. Harvard University Press. 157 p
Hybrides entre lieux de production, espaces de jardins collectifs gérés par l’agriculteur et autocueillette, les fermes urbaines japonaises offrent une transparence sans pareil de l’acte agricole aux citadins. En plus du maraîchage, la production ornementale urbaine est aussi présente. District de Nerima à Tokyo. Japon. 2018 – © Guillaume Morel-Chevillet
La seconde doit ses origines au développement paradoxal des villes actuelles. D’un côté, les villes françaises de taille moyenne voient l’implantation de centres commerciaux périurbains affaiblir, voire anéantir, leurs petits commerces de proximité tout en artificialisant les terres agricoles3, de l’autre, les grandes métropoles mondialisées, plus riches que la plupart des pays du monde4, sont paradoxalement de moins en moins résilientes en cas de crise, notamment à cause de leur dépendance aux importations lointaines de produits agricoles. C’est parce que les agriculteurs urbains contribuent à rétablir ces liens que les villes auraient intérêt à les soutenir. Mais c’est très probablement en favorisant la création d’emplois que l’agriculture urbaine tissera les liens les plus étroits entre ville et campagne. Il est l’heure de populariser l’activité agricole auprès des citadins, notamment les plus jeunes !
Il se passe donc un je-ne-sais-quoi d’extraordinairement vivant dans nos villes ! Les agriculteurs urbains, amateurs et professionnels, seraient-ils les pionniers d’une nouvelle ère, remettant l’Homme au coeur des enjeux alimentaires, paysagers, économiques, environnementaux et sociaux ?
4 Toly Noah J., Tobory Sam. 2016. 100 Top Economies : Urban Influence and the Position of Cities in an Evolving Wold Order. The Chicago Council of Global Affairs. Disponible en ligne : https:// www.thechicagocouncil.org/publication/100-top-economies-urban-influence-and-position-cities-evolving-world-order. Consulté le 23 février 2017.