Des racines et des arbres: utilité et développement des racines
Marc Brillat-Savarin
Tel un monument qui attire l’oeil par la beauté de ses façades et l’harmonie de ses proportions, sans que l’idée même de ses fondations ne vienne à l’esprit, le végétal s’impose à nous par sa verte ramure occupant l’espace aérien, occultant dans le même temps toute sa partie souterraine, pourtant vitale à sa survie. Penchons-nous sur le système racinaire des arbres et des arbustes, en égratignant au passage quelques idées reçues et en tâchant surtout d’en tirer des leçons pour réussir nos futures plantations.
À quoi servent les racines ?
Traditionnellement, cinq fonctions sont attribuées au système racinaire des plantes.
En plongeant leurs ramifications dans le sol, les racines assurent un rôle d’ancrage à l’arbre ou à l’arbuste. De plus, elles s’opposent à l’enfoncement du végétal sous son propre poids et à son basculement sous l’effet des contraintes extérieures.
L’allongement et la ramification des racines permettent à la plante de prospecter les couches de sol successives pour en tirer le maximum de ressources.
Les racines servent aussi accumuler des réserves qui permettront au végétal de redémarrer à la saison suivante, avant que ne se mette en route l’activité photosynthétique.
Par ailleurs, grâce à son « chevelu » et à ses radicelles, aidé par les symbioses mycorhiziennes, le système racinaire a la capacité d’absorber l’eau et les éléments minéraux contenus dans le sol, tout d’abord par un phénomène d’osmose puis grâce à l’évapotranspiration au niveau des feuilles.
Enfin, un lien étroit unit les parties souterraines et aériennes des végétaux puisque les racines synthétisent et émettent des hormones de croissance, les cytokinines. En retour, les parties aériennes « nourrissent » le système racinaire grâce à d’autres hormones, les auxines, et à la sève élaborée qui lui sont fournies.
Comment les racines se développent-elles ?
La croissance du système racinaire de la plupart des espèces passent par des étapes communes : le développement d’un pivot vertical puis sa ramification en racines horizontales qui vont exploiter le sol dans un rayon de plusieurs mètres pour les arbres. Ce système émet ensuite, à proximité de la base de la tige, des racines verticales et obliques qui vont remplacer fonctionnellement le pivot initial.
Le mode de croissance des racines est fixé génétiquement et s’exprime librement en l’absence de contraintes liées au sol. Chez les arbres on distingue trois types d’enracinement :
• Type pivotant ou profond, caractérisé par un pivot prépondérant, le développement de longs pivots secondaires et de racines horizontales. C’est le cas du sapin, du pin sylvestre, du chêne, de l’orme, du noyer, du micocoulier…
• Type traçant ou superficiel, avec un pivot qui avorte rapidement, laissant la place à des racines horizontales et de courts pivots verticaux. La surface prospectée est étendue mais peu profonde. Sont concernés l’épicéa, le tremble, le frêne, les légumineuses…
• Type en cœur ou oblique, caractérisé par des racines horizontales, obliques et verticales (hêtre, érable, tilleul, douglas…).
Lorsque l’enracinement est superficiel, il arrive que les arbres drageonnent1, menaçant parfois l’intégrité des revêtements ou des constructions (voiries, murs…). C’est le cas de l’ailante, du peuplier ou du robinier faux-acacia. Tout épisode de stress (taille sévère par exemple) peut déclencher ce phénomène. Il est important d’en tenir compte à proximité d’une maison. À l’inverse, pour préserver les réseaux souterrains, les essences à enracinement pivotants devront être évitées. Si les racines n’attaquent pas directement les conduites, comme on le croit parfois, elles peuvent sous l’effet du vent, les fragiliser par effet mécanique.
Pour les arbustes, le conseil est le même, il faut se méfier des enracinements drageonnants qui vont envahir les pelouses. Mis à part les bambous, connus pour leur forte dynamique, citons l’arbousier ou encore le sumac de Virginie.
Dans la réalité
La classification des systèmes racinaires demeure assez théorique car ils évoluent différemment en fonction des conditions du milieu : sol profond ou superficiel, poreux ou compact, engorgé ou non, etc. Voici quelques exemples :
• En milieu urbain, une fuite d’eau dans une conduite peut amener un arbre à diriger son système racinaire vers cette source d’humidité, l’éloignant ainsi de son architecture type.
• De même, une fosse de plantation en longueur conduira l’arbre à développer ses racines suivant cette configuration.
• Un vent dominant va conduire l’arbre ou l’arbuste à surdévelopper ses racines “au vent” (situées du côté du vent). Elles joueront le rôle d’un câble de rétention. Plus globalement, les ébranlements de l’arbre dus au vent sont transmis aux racines verticales dont la croissance se verra augmentée. C’est pour cela qu’il est recommandé de tuteurer les jeunes arbres de façon assez lâche afin qu’ils puissent être légèrement secoués par le vent.
• Des arbres à enracinement pivotant ou oblique peuvent, s’ils rencontrent rapidement un horizon trop compact ou engorgé, ne développer que des racines superficielles. C’est le cas pour le pin sylvestre ou le douglas. Une fois adulte et culminant à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, leur ancrage se révélera insuffisant.
Quelles leçons pour aménager nos jardins ?
De ces connaissances sur le système racinaire, il est possible de tirer quelques enseignements pour réussir nos plantations.
Rappelons-nous que des racines en bonne santé sont une garantie de longévité et de résistance pour un arbre ou un arbuste. Les soins apportés au moment de la plantation, lors du travail du sol, pour l’aérer et favoriser son activité biologique, sont à cet égard primordiaux. Durant la vie du végétal, les intrants chimiques comme les herbicides ou les fongicides sont à proscrire car ils perturbent les symbioses racinaires.
Pour les arbres, toute mutilation ou suppression de racines devront être évitées. D’une part, cela constitue un risque de pourriture, d’autre part, la partie aérienne peut s’en trouver désorganisée. Une ablation de racines doit donc rester un cas de force majeure (construction menacée, etc.). À ce titre, si les nuisances proviennent des racines d’un arbre situé sur un terrain voisin, le propriétaire de l’arbre est tenu pour responsable des dommages causés. La loi vous autorise à supprimer vous-mêmes les racines colonisant votre terrain (art. 673 du Code civil). En revanche, si l’arbre venait à dépérir suite à cette opération, votre responsabilité pourrait être engagée… Mieux vaut donc mettre en demeure le propriétaire concerné de faire réaliser les travaux.
Le décapage de surface ou le remblayage de terre sont également déconseillés car les premiers horizons de sol concentrent les racines d’absorption, vitales pour l’arbre. Dans le premier cas elles seront supprimées, dans le second elles mourront par asphyxie.
En termes de choix d’essences, il convient de se rappeler qu’un végétal à petit développement aura en général un système racinaire plus restreint, y compris chez les arbres. On évitera ainsi les sujets à grand développement à proximité des habitations : tôt ou tard ils créeront des désordres souterrains, sans compter leur encombrement aérien. On privilégiera donc des essences à petite motte racinaire comme les fruitiers d’ornement (pommiers ou poiriers à fleurs par exemple) ou les arbustes élevés sur tige. Sur pelouse, il faudra préférer des végétaux à enracinement pivotant ou superficiel non drageonnant. Enfin, au-dessus des canalisations, les systèmes pivotants seront proscrits et avantageusement remplacés par des arbrisseaux ou des vivaces.