1001 ruses végétales pour épargner l'eau
Jean-Michel Groult
Pour faire face à une sécheresse régulière, les plantes ont déployé une incroyable palette de solutions. Les cactus et les plantes à tissus charnus, les plantes « grasses » ou « succulentes », n'en constituent qu'une infime partie !
Bien entendu, il y a sécheresse et sécheresse. La longue période sans pluie que connaissent les régions désertiques, et qui peut durer plusieurs années, a peu à voir avec un printemps un peu sec qui surprend la végétation de nos régions. Cependant, les mêmes stratégies sont à l'oeuvre. Elles sont simplement déployées à des degrés divers, d'autant plus que la sécheresse sera importante.
Une toison d'argent
L’un des stratagèmes les plus communs repose sur la présence d'une couverture de poils sur les parties exposées à l'air libre, et que l'on appelle parfois le trichome. Ces poils jouent le rôle d'un coupe-vent : à l'échelle microscopique, ils réduisent les courants d'air à la surface de la plante. Enveloppée dans une couche
d'air statique, la plante évapore moins que si elle se trouvait en permanence léchée par un air sec. Cette pilosité est parfois si voyante qu'elle en rend les plantes très attrayantes, comme dans le cas de l'oreille de- lièvre (Stachys byzanthina) ou chez le Phlomis sp. Parfois, les poils ne sont pas fins et laineux, mais ressemblent à des petites coupes. Ils peuvent avoir pour fonction de récupérer l'eau de la rosée, qui sera alors directement absorbée par les feuilles. Pour en voir, observez (à la loupe) un Tillandsia sp. Dépourvue de racine, cette plante de milieu humide est pourtant adaptée à la sécheresse. Car sous la canopée, l'air exposé au soleil devient très vite sec, quelques heures seulement après la dernière pluie…
Le tomentum, autre nom de cette couverture pileuse, a dans certains cas une propriété intéressante : il devient transparent en cas de pluie. La plante peut ainsi continuer à capter la lumière, alors que le rayonnement est moins important. On l'observe par exemple chez une rare plante de nos côtes, véritable joyau de nos dunes, mais hélas en voie de raréfaction : Otanthus maritimus (diotis maritime). Tout aussi commune que la toison, la couche de cire ou pruine joue un eff et similaire. La cire, sur les feuilles, rend la surface imperméable. Il est facile de s'en rendre compte en trempant une prune 'Quetsche d'Alsace' dans l'eau : on observe que la pruine (d'où le nom de « prune »…) empêche que le liquide ne recouvre la surface. La couche pruineuse recouvre également certaines feuilles, en les rendant ainsi très désirables à nos yeux, comme celles des Echeveria, des palmiers bleus (Chamaerops humilis 'Cerasifera'), du chiendent de mer (Elymus arenarius), etc.
Répartition spéciale
Parfois, les poils ou la pruine ne se retrouvent qu'à la face inférieure des feuilles. À cet endroit, ce n'est pas l'effet du soleil que ces revêtements limitent, mais les courants d'air au niveau des pores respiratoires (les stomates). Il est courant en eff et que pour réduire les pertes en eau, les pores respiratoires ne se retrouvent qu'à la face inférieure des feuilles. Les stomates peuvent d'ailleurs être enfoncés au fond de sillons, où ils seront bien protégés des courants d'air. C'est sans doute chez l'oyat (Ammophila arenaria), cette plante de bord de mer, qu'on l'observe le plus facilement. Les feuilles sont enroulées sur elles-mêmes, et ce n'est qu'au fond de sillons profonds que l'on trouvera – au microscope – les fameux stomates. Repliée sur elle-même, la feuille offre aussi moins de surface au soleil. On retrouve ce caractère chez les fétuques, et ce sont d'ailleurs les minuscules variations de la forme des sillons qui servent à distinguer les différentes espèces ! Chez les conifères qui possèdent des aiguilles larges (l'if, par exemple), c'est au revers que l'on observera une sorte de lignage blanchâtre. En réalité, ce dessin correspond à des bandes cireuses, criblées de trous nécessaires à la respiration de la feuille. La partie supérieure est constituée de tissus coriaces, qui donnent au feuillage sa texture raide.
Du soutien !
Les tissus coriaces au sein de la plante constituent en eff et un autre moyen de réduire ses besoins en eau : ils évitent d'avoir à maintenir son port érigé par transpiration au niveau des feuilles, comme c'est le cas chez les plantes molles. Laissez un plant de mercuriale au soleil, les racines à l'air : en moins de cinq minutes, le voilà qui commence à ployer, car il ne possède quasiment aucun tissu de soutien. Les sclérophytes, ou plantes à tissus coriaces, elles, en contiennent beaucoup. Tout se passe comme si elles possédaient un squelette, car ces tissus coriaces ne sont pas forcément constitués de bois. Le meilleur exemple nous est fourni par la sansevière : ses feuilles raides se maintiennent droites sans la moindre fibre de bois. Un bon nombre de plantes de milieux secs possèdent ainsi des tiges dures, très rigides, qui ne nécessitent pas d'eau pour leur maintien. Il n'est qu'à se promener dans la garrigue, les jambes nues, pour en faire la douloureuse expérience ! Attention toutefois : ce n'est pas parce qu'une plante a des tissus coriaces qu'elle est adaptée au manque d'eau. Le houx a des feuilles très dures et luisantes, mais il n'est pas le mieux équipé pour épargner l'eau. Si la sélection naturelle a favorisé de telles feuilles, c'est parce qu'elles s'avèrent bien adaptées au fait de passer sa jeunesse à l'ombre et à aff ronter les ravageurs de toute sorte en sous-bois. Deux conditions auxquelles les jeunes houx, dans la nature, doivent faire face avant de devenir des arbres.
Des stocks pour tenir
Bien entendu, la plus spectaculaire façon de tenir face au manque d'eau consiste à faire des réserves. Les cactées et les plantes succulentes sont bien connues pour cela. Les plus grandes cactées peuvent emmagasiner plusieurs mètres cubes d'eau, une fois adultes. Mais le record est détenu par les baobabs, dont on dit qu'ils peuvent entreposer plus de cent mètres cubes d'eau. Leur énorme tronc, en eff et, est creux et il n'est pas exagéré de parler d'arbre-citerne. De nombreuses plantes reproduisent ce mécanisme : ce sont les fameuses « plantes à caudex », prisées des amateurs, mais que l'on devrait appeler, au sens strict, des plantes pachycaules, c'est-à-dire des plantes à « tige en pied d'éléphant ». Les plus caractéristiques possèdent une souche très renflée et volumineuse, associée à une ramure qui disparaît à chaque saison ou se réduit à de courts rameaux. De la sorte, la plante est assurée de pouvoir fl eurir pendant plusieurs saisons de suite, même si la sécheresse sévit pendant quelques années. Il existe tous les intermédiaires et toutes les solutions possibles. Les plus précautionneuses en la matière sont les cactus à tubercules. Non seulement leurs tissus sont charnus et gorgés d'eau, mais ils possèdent en plus une souche souterraine, parfois très volumineuse, qui complète la réserve constituée dans les rameaux ! Si l'envie de découvrir ce monde particulier vous tente, n'oubliez pas qu'il existe une section dédiée à ces végétaux au sein de la SNHF. À leurs côtés, on découvrira d'autres mécanismes passionnants, comme celui qui consiste à se mettre en veille, les tissus desséchés en attendant des jours meilleurs. C'est la reviviscence, une propriété que possèdent toutes les mousses et tous les lichens, mais aussi des plantes plus complexes, comme la rose de Jéricho (Selaginella lepidophylla), jadis vendue comme plante-gadget,mais que l'on peut difficilement maintenir en vie une fois réhydratée, même en serre.
Le bord de mer, me direz-vous, n'est pas spécialement sec. En réalité, l'eau n'y est pas rare mais difficile à extraire car présente uniquement sous forme de solution salée. Ainsi, la présence de sel marin dans le sol et l'air (par les embruns) rend les conditions semblables à celle d'un désert pour les plantes de dunes. Imaginez : certaines plantes de bord de mer ont une puissance de succion de l'eau allant jusqu'à 100 bars (soit l'équivalent de la pression qui règne à la sortie d'un nettoyeur à haute pression). Dans ces conditions, l'eau prélevée au milieu ambiant est précieuse ! Voilà pourquoi on rencontre en bord de mer beaucoup d'adaptations à la sécheresse. Les plantes qui sont adaptées à ces conditions sont dites halophiles, c'est-à-dire qu'elles s'accommodent à la présence de sel. Ce que ne pourrait pas forcément faire un cactus, d'ailleurs…