Promenons-nous dans les bois…
Anne-Marie Granet
Longtemps, le loisir en forêt fut l’apanage de l’aristocratie qui y pratiquait la chasse. Lieu de sociabilité, familier et « sauvage », elle est aujourd'hui un espace de bien-être accessible au plus grand nombre...
Pendant les Trente Glorieuses, la société française citadine découvre le plaisir de la sortie en forêt. Dans le cadre d’une politique volontariste de l’État, l’ONF aménage les grandes forêts domaniales [1] périurbaines pour répondre aux besoins des visiteurs. C’est un succès, mais certains sites trop fréquentés subissent des dégradations. L’État infl échit alors sa politique : la place de la voiture en forêt est restreinte et les aménagements « légers, diff us et discrets » redonnent à la forêt un aspect plus naturel et favorisent le contact avec la nature.
La sortie en forêt, une pratique populaire
Au cours des décennies suivantes, les préoccupations environnementales occupent progressivement le devant de la scène. Pour autant, la sortie en forêt est toujours très prisée : le CREDOC évalue ainsi à près de 100 millions les visites annuelles des franciliens en forêt en 1999. Avec la décentralisation, les collectivités prennent le relais de l’État et deviennent les partenaires essentiels des forestiers pour organiser et financer l’accueil du public en forêt.
En ce début de XXIe siècle, la sortie en forêt semble pourtant marquer le pas : les français qui sont allés en forêt sont moins nombreux en 2010 qu’en 2004 (Enquête ONF - Université de Caen, « Forêt et société », 2010). Pour les scientifiques, les explications seraient à chercher tant du côté de l’évolution des modes de vie (concurrence d’internet, association entre risque et forêt…) que des diffi cultés économiques (restrictions dans l’usage de la voiture).
La nature de proximité
Une sortie en forêt, c’est d’abord une immersion dans la nature sans aller loin ni partir longtemps. Une pratique davantage associée au temps libre qu’aux vacances. Pour une majorité de la population - 80 % de la population française vit aujourd’hui en ville - la forêt est l’espace de « vraie » nature, le plus proche et le plus accessible.
La sortie en forêt représente une rupture avec l’environnement urbain : une bouffée d’oxygène, une pause dans une vie trépidante, des sensations et des émotions plus que des activités. La capacité à s’émerveiller devant un animal à peine entrevu, l’envie de partager des plaisirs simples... À ce titre, de printemps et l’automne sont les saisons privilégiées de la forêt. L’activité dominante en forêt est de loin la promenade à laquelle s’ajoutent d’autres activités comme les cueillettes, l’observation de la nature, le pique-nique… Se promener n’est d’ailleurs pas l’apanage des citadins. En milieu rural, ces pratiques se conjuguent avec les activités traditionnelles que sont la chasse ou l’affouage [2].
Aller en forêt est aussi, le plus souvent, un temps de sociabilité. On va bien plus en forêt en famille ou avec ses amis que seul. Les femmes, en particulier, sont peu nombreuses à s’y aventurer seules. La « peur du loup » est toujours bien présente…
Face à la gestion traditionnelle pratiquée par l’administration forestière, les peintres de Barbizon se mobilisent pour préserver les vieux arbres et les paysages emblématiques de Fontainebleau. Leurs revendications aboutiront en 1861 à la création des premières réserves artistiques.
A la même période, l’arrivée du train facilite l’accès à la forêt. La mise en scène de sentiers de promenade par Claude- François Denecourt et leur description imagée dans des guides plusieurs fois réédités, constituent une première mise en tourisme de la forêt.
Equiper et valoriser la naturalité de la forêt
Pour autant, la forêt la plus recherchée par le public n’est pas une forêt réellement sauvage. Les faveurs du public vont vers une forêt accessible, aménagée dans le respect de l’ « esprit des lieux ». Des équipements discrets qui valorisent sa charge symbolique et son pouvoir évocateur, en accord avec des représentations où s’entremêlent forêt vierge et forêt de Blanche Neige. Des ambiances, des sites d’accueil équipés légèrement, un réseau de sentiers adaptés à différents publics, un minimum d’informations et de signalétique constituent l’essentiel des attentes du public. Des espaces plus équipés sont appréciés et utilisés, mais ne seront pas assimilés à la forêt.
[1] Les forêts domaniales, propriété de l’Etat sont gérées par l’ONF.
[2] L’affouage permet aux habitants d’une commune, dans des conditions bien défi nies, de se procurer du bois de chauffage dans leur forêt communale.