Des fleurs toute l’année, c’est possible
Noëlle Dorion
Les connaissances acquises sur le cycle de développement des « bulbeuses ornementales » permettent de produire des fleurs toutes l’année. C’est le cas pour les lis, l’iris bulbeux, les zantedeschias, l’alstroemère, … Cependant, La tulipe, la jacinthe, le glaïeul conservent une production saisonnière. La première n’est pas produite l’été car le marché ne s’y prête pas et la qualité de la floraison incertaine. Le glaïeul n’est pas produit en hiver du fait des contraintes économiques et des risques concernant la qualité de l’épi.
Dans un autre article sur la biologie des géophytes (dans ce dossier), M. le Nard a montré comment « l'existence de périodes de repos », chez les géophytes ornementaux, « rend possible la mise en œuvre des opérations de stockage » mais aussi « une production de fleurs de qualité ». Il explique aussi pourquoi, « le contrôle de la température, tant en cours du stockage qu'après plantation, est un élément majeur dans la maîtrise de la floraison » et pourquoi ce contrôle permet « une réduction ou un allongement artificiels de la durée des saisons que les plantes rencontrent naturellement ».
Une majorité de fleurs en hiver et début de printemps
Peut-on pousser à l’extrême les techniques de contrôle et produire des fleurs de qualité toute l’année ? Quelles en sont les limites, biologiques et économiques ? Etudions les statistiques annuelles des ventes de fleurs coupées de bulbeuses ornementales sur les marchés de gros hollandais. Les Pays-Bas sont, de loin, le premier producteur mondial de « bulbes ornementaux » (voir l'article de M. Le Nard : Une production mondiale indépendante des origines géographiques). Les treize premières « bulbeuses ornementales » se situent entre le 3e et le 31e rang sur 152 espèces commercialisées (tableau 1). Toutes sont produites en hiver et au début de printemps et occupent un créneau intéressant sur le marché. En effet, la présence de réserves dans les organes tubérisés peut en partie compenser une photosynthèse réduite par la faible luminosité hivernale.
Type de « bulbeuse ornementale » | Rang de classement en valeur1 | nombre de tiges en millions (2009) | Prix unitaire en cts € | période de production | Maximum de production |
tulipe | 3 | 1535 | 13 | novembre à mai | janvier à avril |
lis | 4 | 350 | 40 | toute l'année | mai à novembre |
freesia | 8 | 308 | 14 | toute l'année | mars à mai |
hippeastrum | 9 | 46 | 78 | septembre à avril | octobre à mars |
alstroemeria | 11 | 218 | 15 | toute l'année | avril à novembre |
zantedeschia | 13 | 90 | 36 | toute l'année | mars à octobre |
jacinthe | 20 | 47 | 21 | novembre à mai | janvier à avril |
glaïeul | 23 | 67 | 14 | mai à décembre | juillet à septembre |
iris (bulbeux) | 25 | 73 | 12 | toute l'année | octobre à mai |
narcisse | 26 | 62 | 14 | décembre à avril | janvier à mars |
ornithogale | 24 | 57 | 16 | toute l'année | janvier à mai |
renoncule | 21 | 73 | 14 | décembre à mai | janvier à avril |
anémone | 31 | 67 | 9 | septembre à mai | janvier à mars |
1sur 152 espèces commercialisées
La tulipe, un cas difficile mais pas isolé
La tulipe est un cas intéressant puisqu’elle est au 3ème rang en valeur alors qu’elle est au deuxième en quantité annuelle (1,5 milliards de tiges) juste derrière la rose (5,6 milliards) et juste devant le chrysanthème (1,2 milliards). Cette observation est d’autant plus intéressante que contrairement à ces deux espèces, la tulipe n’est pas produite toute l’année (tableau 1), ce qui signifie que les quantités mises en marché pendant cette période sont très importantes. Ainsi, au mois de mars, il s’en vend jusqu’à 400 millions soit 30 % du total en un mois. A noter, que ce pic de production est en avance sur la période de floraison naturelle au jardin qui dans les régions à printemps frais et aux Pays-bas, se situe plutôt de mi-Avril à début Mai. Par contre, le prix moyen de la tige est plus faible que celui du chrysanthème et de la rose (0,19-0,20 €) ce qui explique le 3e rang en valeur. La vente des tulipes est donc saisonnière. Est-ce à dire qu’on ne maîtrise pas correctement son cycle de développement ? Non, bien au contraire, mais il y a deux contraintes biologiques dont il faut se souvenir. Après l’arrachage, donc durant le stockage, deux étapes importantes doivent être réalisées, l’initiation florale puis la levée de dormance. Les multiples recherches, la possibilité de jouer avec les variétés précoces et avec leur lieu de production (sud ouest de la France, plutôt que Bretagne ou Pays-Bas) ont contribué à réduire cette période le plus possible sans toutefois la supprimer. C’est pourquoi, les premières fleurs coupées de tulipe ne sont pas présentes sur les marchés avant novembre. La deuxième limitation biologique, comme l’a mentionné M. Le Nard, tient au fait que le métabolisme est actif pendant la préparation du bulbe à basses températures (5 ou 9°C). Si la période se prolonge trop la fleur produite sera de mauvaise qualité et pourra même avorter dans le bulbe. La seule possibilité d’allonger la période de production est de conserver les bulbes à température négative, -2° à -3°C (« ice tulips »). Il est ainsi possible de produire des fleurs toute l’année mais la qualité laisse parfois à désirer et la demande estivale est très réduite. Une telle production, limitée, existe aux Pays-Bas. La situation est sensiblement identique pour les autres « bulbeuses » à floraison printanière (Jacinthe et Narcisse), dont l’initiation florale a lieu naturellement en été.
Les Lis, une saisonnalité limitée et compensée par la diversité
Les lis arrivent au 4e rang, immédiatement derrière la tulipe. Ce rang est dû à la valeur de cette fleur coupée (0,40 €) et non pas à la quantité annuelle vendue qui est presque 5 fois inférieure à celle des tulipes bien que la production soit possible tout au long de l’année. Pour comprendre comment cette situation et rendue possible, il faut se rappeler, là encore, les tableaux et les propos de M. Le Nard. La seule contrainte pour faire fleurir un lis est de respecter une phase de basses températures qui va simultanément conduire à l’initiation florale et à la levée de dormance. Il suffit donc d’abaisser de quelques degrés la température (de 2° à 0°C ou même jusqu’à -0,5° à -2°C) pour prolonger la conservation ou inversement la raccourcir par un traitement chimique des bulbes. Ainsi à partir de la récolte on peut programmer les bulbes pour une floraison tout au long de l’année. Cependant, les tiges de lis, contrairement à la tulipe sont grandes et portent plusieurs fleurs. De ce fait, les réserves emmagasinées dans les bulbes sont insuffisantes pour assurer la croissance et l’épanouissement. D’où l’importance de l’intensité lumineuse élevée qui correspond à une période de floraison naturelle en été. En période hivernale, il est nécessaire d’apporter un éclairage d’appoint photosynthétique. Etant donné le prix à la tige, la sophistication des méthodes est économiquement supportable. En dépit d’une production toute l’année (jamais inférieure à 20 millions par mois) chaque espèce de lis présente une période de commercialisation privilégiée. Ainsi pour Lilium longiflorum et ses hybrides ce sont les mois de juin et juillet, les mois d’août et septembre pour les lis hybrides orientaux, de beaucoup les plus vendus, et ceux de juin à septembre pour les hybrides asiatiques (odorants).
De l'iris au glaïeul
L’iris bulbeux se comporte comme le lis, l’organogenèse à lieu pendant le passage au froid. Par ailleurs, certains traitements chimiques peuvent lever la dormance et une conservation des bulbes à température élevée est possible de telle sorte que les fleurs coupées peuvent être produites toute l’année. Comme pour le lis, l’intensité lumineuse est une contrainte majeure pour obtenir une floraison de qualité. Le Glaïeul, est comme le lis un espèce qui fleurit en été (juillet-septembre) et nécessite beaucoup de lumière pour sa croissance et sa floraison. De même, sa conservation peut être allongée en abaissant la température de conservation. Mais l’organogenèse florale du glaïeul a lieu pendant la croissance et dépend de l’intensité lumineuse. C’est pourquoi, même si le forçage est théoriquement possible en hiver, avec un appoint de lumière artificielle dans certaines situations (économiquement peu ou pas intéressant), la qualité de l’inflorescence (nombre de fleurs induites et capables de se développer) est insuffisante et la commercialisation des glaïeuls n’a lieu que de mai à décembre. Les rhizomes (ou tubercules) de Zantedeschia peuvent être maintenus en croissance continue pour peu que les températures de croissance soient respectées dans les serres. Toutefois, Zantedeschia aethiopica présente un pic de commercialisation de mars à mai correspondant à la période de floraison naturelle dans nos jardins, les températures estivales inhibant la floraison. Par contre, les autres Zantedeschia nécessitent des températures plus élevés et sont plutôt commercialisés de mai à octobre. L’Alstroemeria est aussi un géophytes à rhizomes dont les fleurs peuvent être commercialisées toute l’année. Une contrainte biologique est à mentionner : la nécessité de maintenir le rhizome à une température moyenne (environ 16°C) pendant la culture. Cette caractéristique peut exiger des installations spécifiques dans les serres, ou être contournée par un choix judicieux de variétés. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, l’Hippeastrum, bulbeuse d’origine tropicale à croissance continue n’est pas produite en fleur coupée toute l’année. La phase de repos est ici imposée par les pratiques horticoles (production, transport et stockage des bulbes). On pourra constater dans le tableau 1 que c’est la fleur coupée, la moins vendue mais que son prix élevé à l’unité la place quand même au 9e rang de toutes les fleurs coupées. Renoncules et anémones sont produites essentiellement sous leur climat d’origine (méditerranéen). De ce fait, contrairement à toutes les autres fleurs coupées issues de bulbes, celles commercialisées sur les marchés de gros hollandais, proviennent très majoritairement d’importations (respectivement 90% et 80%).
Le cyclamen un géophyte réservé à la plante en pots
Les caractéristiques biologiques des espèces mentionnées dans le tableau 1, permettent tout aussi bien de produire des fleurs coupées que des potées fleuries pour une commercialisation sensiblement aux mêmes époques. Cependant le classement diffère en fonction de la capacité d’adaptation de chacune, et quelques nouvelles s’invitent au palmarès. Ainsi la Jacinthe est la première bulbeuse du classement des potées fleuries, au 9e rang avec 42 millions de pots vendus dans l’année, alors que la tulipe pointe au 82e rang avec seulement 3 millions de pots. Les cyclamens sont au 11e rang pour 28 millions de pots commercialisés tout au long de l’année même s’il s’en vend très peu en avril et mai (moins de 200 000 par mois). Les Muscari dont le cycle de développement ressemble à celui de la jacinthe mais avec un fort coefficient de multiplication, apparaît dans ce classement à la 53e place en 2007 puis à la 36e place 2009. On peut considérer qu’il s’agit d’une innovation en phase de progression.
Remerciements
Merci à Marcel Le Nard, Directeur de recherche honoraire à l’INRA pour ses conseils avisés.
Pour en savoir plus
M. Le Nard (articles dans ce dossier)
A. De Hertogh et M. Le Nard (1993) The physiology of Flower bulbs, ed. by De Hertogh et Le Nard (Elsevier)
Vakblad voor de Bloemisterij, 23a, 2010 et 21a, 2008
> Des bulbes pour toute l'année, Section plantes vivaces, SNHF, avril 2002
novembre-décembre 2012