Les orchidées du Sénat, fruits de la passion de Jean-Baptiste Lhomme
Philippe Lemettais
La collection d’orchidées du Sénat est le fruit d’une longue histoire dont Jean-Baptiste Lhomme a été un acteur important au XIXe siècle.
Après de nombreuses péripéties, elle se retrouve aujourd’hui riche de nombreux spécimens. Un nouvel hybride a été baptisé Paphiopedilum ‘Baptiste Lhomme’ en hommage à celui qui a consacré sa vie à ces fleurs.
L’orchidomania qui s’empara de l’Europe au XIXe siècle a commencé en Angleterre vers 1820. En fait, la première orchidée exotique introduite en Angleterre fut un Bletia purpurea, importé de l’île de la Providence en 1731. Elles ne sont que deux à Kew Garden en 1768, puis une quinzaine en 1789.
La première floraison d’un Cattleya labiata dans les serres de William Cattley, en 1818, donne le signal. C’est le début de l’épopée des « chasseurs d’orchidées » qui parcourent le monde dans ses parties les plus reculées, au péril de leur vie (maladies, accidents, conflits avec les autochtones…). Si une demande existe, le marché n’est pas encore organisé. Le choix dans les pépinières renommées augmente assez rapidement mais les prix restent exorbitants. C’est dans les années 1860 qu’on a récolté d’énormes quantités de plantes qui périssent ensuite au cours des trop longs voyages en bateau. Pour la période pendant laquelle vécut Lhomme, la culture des orchidées n’est encore qu’une affaire de riches aristocrates (Cattley, Cavendish, Rothschild, Pescatore…), de botanistes curieux (Lindley règne en maître sur Kew Garden pour la description des espèces nouvelles), et les « pépinières » spécialisées apparaissent progressivement (Loddiges, Veitch, Sander, Linden…). Certains établissements publics parviennent à constituer de belles collections. La plus importante, car aussi la plus ancienne, est celle de Kew Garden en Angleterre. C’est à cette époque que démarre la collection d’orchidées du Sénat.
Le père nourricier : Jean-Baptiste Lhomme (1785-1867)
Jean-Baptiste Lhomme naît à Beauvais le 5 avril 1785. Son père est jardinier. À cette époque, les enfants reprenaient généralement le métier de leur père. Il a donc dû commencer à travailler très jeune sous la férule de ce dernier. Âgé de 13 ans, il part pour Paris afin de « se fortifier dans l’étude du jardinage » selon sa propre expression. Il entre au service de Joséphine de Beauharnais au Château de la Malmaison à Rueil. L’impératrice, originaire de Martinique, est passionnée de plantes exotiques. Elle en cultive plus de 200 dans la nouvelle serre qu’elle vient de faire construire. Ainsi, Jean-Baptiste y fait ses premières armes dans la culture des plantes de serre chaude.
En 1802, fort de cette expérience, il est embauché à la faculté de Médecine de Paris comme garçon jardinier afin de s’occuper du Jardin botanique, ce qui lui permet d’échapper à la conscription. Il y restera 65 ans durant. Très rapidement, il devient jardinier chef en remplacement de son directeur, le botaniste Poiteau, appelé à gérer le jardin de Fontainebleau.
Collection en piteux état
C’est Claude Richard, puis son fils Achille Richard, professeurs de botanique à la faculté de pharmacie, qui dirigent le Jardin botanique, alors situé dans l’ancien Enclos des Cordeliers. La collection est en piteux état, beaucoup de plantes manquent dans les plates-bandes. Il améliore la situation grâce à des dons du Jardin des Plantes. Il parvient à construire un semblant de serre, chauffée par un vieux poêle en fonte. Il se lance alors dans un grand programme de multiplication des plantes. Lhomme peut alors faire des échanges avec d’autres institutions.
En 1834, le Jardin botanique est transféré sur une grande parcelle du terrain des Chartreux. J.-B. Lhomme doit tout recommencer. Il aménage une nouvelle serre chaude. Devant l’étendue du travail à accomplir, en avril 1837, il recrute son neveu Auguste Rivière et le forme à la culture des orchidées.
Une serre dédiée aux orchidées
Achille Richard est passionné par les orchidées. Mais il n’a, pour l’instant, que des exemplaires d’herbier. Il veut des plantes vivantes pour mieux étudier leur morphologie. C’est Lhomme qui va les lui « offrir ». Les premières orchidées proviennent du Muséum avec lequel il entretient une très riche coopération. De son côté, Richard restait en contact avec le Dr Peixoto, médecin de l’empereur Don Pedro, qui envoya des orchidées du Mexique et du Brésil. Deux envois, en 1838 et 1839, apportent un nombre conséquent de plantes, une trentaine d’espèces. Pour les héberger, il est construit une serre dédiée uniquement aux orchidées. C’est vraiment le début de la collection. Ce fut d’abord un Epidendrum elongatum (aujourd’hui Epidendrum secundum), puis vinrent Epidendrum cochleatum (Prosthechea cochleata), Cypripedium insigne (Paphiopedilum insigne) et aussi Lissochilus streptocarpus, en fait probablement Lissochilus streptopetallus (Eulophia streptopetalla).
Succès à l’Exposition universelle
Mais Lhomme ne se contente pas de les cultiver, il veut les multiplier. Il entre alors en conflit avec Neumann, le jardinier-chef du Muséum. Neumann pensait qu’il ne fallait surtout pas séparer les pseudo-bulbes, sous peine de faire mourir les plantes. Lhomme voyait, au contraire, dans la division des touffes un moyen de multiplication efficace. Il fut le plus perspicace et put ainsi multiplier les orchidées. La collection commence à s’accroître alors par des échanges avec d’autres collectionneurs, notamment Pescatore à La Celle St Cloud à partir de 1846.
Dans les années 1850, le Jardin botanique renferme plus de 8.000 espèces, la collection d’orchidées atteint 1.000 espèces et 9.000 taxons. Les plantes, superbes, sont exposées à la première Exposition universelle de Paris en 1855. C’est un immense succès. En 1856, Lhomme est décoré de la Légion d’Honneur. La réputation de la collection dépasse maintenant largement nos frontières.
Les dégâts d’Haussmann
Malheureusement, Lhomme aurait pu écrire sur les murs du Palais du Luxembourg « Haussmann m’a tué ! ». En effet, les travaux d’élargissement de la rue de Vaugirard, l’alignement du Boulevard St Michel, les aménagements de l’avenue de l’Observatoire et des rues A. Comte et Guynemer amputent largement le Jardin du Luxembourg. En 1859, le Jardin botanique de la Faculté de Médecine est détruit, déplacé à l’angle de la rue d’Assas et de la rue Michelet. Lhomme, qui a alors 81 ans, doit tout recommencer. Réinstaller un nouveau jardin et surtout essayer de sauver la collection d’orchidées.
Elle sera transférée au Jardin du Luxembourg dont le jardinier-chef sera le neveu de Lhomme, Auguste Rivière !
La collection d’une vie
Le 14 juillet 1867, Lhomme travaillait encore à ses plantes. Il décède le 17 juillet. Nous commémorons en cette année 2017 les 150 ans de sa disparition. Dans son homélie funèbre, M. Baillon, professeur de botanique de la faculté de médecine de Paris, souligne : « En le voyant errer silencieux, il y a quelques jours encore, autour de ce jardin qu’il avait paré pour tant de fêtes de la Science, et qu’il avait vu renversé deux fois en quelques années, nous comprîmes l’amertume de ses regrets. »
Cet homme a passé sa vie à constituer une collection remarquable. Jamais la Faculté ne lui a accordé 1 franc pour l’achat de plantes. Il a eu l’intelligence de former son neveu, de lui transmettre son savoir. Malheureusement, il l’aura aussi bridé. En effet, en 1842, Auguste Rivière tente une première hybridation d’orchidée. La fécondation prend. Mais Lhomme lui interdit de poursuivre et c’est ainsi que le premier hybride artificiel d’orchidée verra le jour en Grande Bretagne.
Depuis, la collection a beaucoup évolué et elle est très riche en Paphiopedilum. Les hybridations s’y pratiquent régulièrement, et en 2001, il y fut créé un hybride entre le Paphiopedilum insigne ‘Sanderae’ et le Paphiopedilum appletonianum. Pour lui rendre hommage, il sera baptisé Paphiopedilum Baptiste Lhomme.